Vlada Shagun, artiste-peintre et ressortissante Ukrainienne installée en Polynésie depuis 2022 a accepté de répondre à nos questions sur le conflit russo-ukrainien. Elle nous livre son témoignage à coeur ouvert en rappelant toute l’importance de cette guerre dans la défense des droits de l’Homme et de la démocratie.

Tout d’abord, étais-tu en Ukraine lorsque le conflit a éclaté ?

Non, j’ai quitté l’Ukraine à 22 ans pour poursuivre mon cursus d’architecture à Strasbourg.

Comment as-tu appris la nouvelle ? Quelle a été ta première pensée ? Quelles décisions as-tu dû prendre ?

C’est mon mari qui m’a appris la nouvelle. Il se trouve que ma maman et mon petit frère étaient en vacances à l’étranger et ma première pensée a été pour eux. Je me suis dit qu’il fallait au plus vite changer leurs billets d’avion pour qu’ils viennent chez nous, car ils ne pouvaient plus rentrer chez eux.

La guerre a commencée par des bombardements russes sur Kiev, Kharkiv, ma ville natale, et le sud de l’Ukraine. Le jour où je l’ai appris, j’ai compris que vingt-deux années de ma vie venaient de disparaître.

À ce moment, nous étions en plein déménagement pour Tahiti et avions déjà vendu nos meubles. Grâce à l’aide de nos amis et d’autres personnes bienveillantes, nous avons pu emprunter du linge et des matelas pour loger ma famille et des proches.

J’ai bien sûr téléphoné à mon père qui m’a informé que lui et ma grand-mère étaient partis de Kharkiv pour se réfugier à la campagne. C’était terrible comme conversation ! Il m’a dit : « Quoiqu’il arrive, je ne quitterai pas l’Ukraine« . On s’est dit adieu, ne sachant pas ce qui se passerait dans les prochains jours.

La population civile de Kharliv a été durement touchée, deuxième grande ville d’Ukraine de 1,2 million d’habitants, elle est frontalière avec la Russie, quelle est ton ressenti dans cette guerre ?  

Je ressens évidemment beaucoup de colère, mais la vie revient dans la ville et cela me fait chaud au cœur. Beaucoup de personnes sont de retour après la percée de l’armée ukrainienne dans la région de Kharkiv et sa libération complète. Malheureusement, les bombardements russes depuis la frontière continuent ce qui rend le quotidien dangereux pour ses habitants. Cette année, par exemple, les enfants sont obligés de suivre leurs cours dans les stations de métro pour échapper aux bombardements.

Comprends-tu les enjeux de cette guerre ? La trouves-tu légitime ? Penses-tu qu’il faille continuer à défendre le territoire ? 

Il y a beaucoup d’enjeux dans cette guerre, il ne faut pas oublier que la Russie souhaite reconstruire son empire, ce qui n’est pas compatible avec une Ukraine démocratique, libre et heureuse à la porte de son état totalitaire.

Je pense que la Russie a peur que son peuple veuille à son tour se tourner vers la démocratie, car n’oublions pas qu’avant, elle a déjà attaqué la Tchétchénie qui voulait sa liberté, ainsi que la Géorgie. La guerre en Ukraine n’est que la suite de ces événements. Nous n’avons pas le choix !

L’Ukraine n’a pas pu empêcher l’annexion de la Crimée en 2014, voici pourquoi la Russie continue son invasion du continent. En effet, je pense qu’il faut défendre notre territoire face aux exactions de la Russie, qui, je le rappelle, a déporté des enfants et tué la population civile, et dont le but assumé est de détruire notre culture et notre identité.

Pourquoi ne pas abdiquer face à la Russie ?

Si l’Ukraine arrête de se défendre, elle cessera tout simplement d’exister et la Russie continuera sa marche sanglante vers la Moldavie et l’Estonie puis vers l’Ouest jusqu’à la restauration de l’URSS.

Est-ce que tu suis l’actualité et le déroulement des opérations ?
Oui, je suis les nouvelles. Tous mes espoirs y sont concentrés.

Que penses-tu de la gestion de la guerre du président Zelenski ?

Je ne suis pas qualifiée pour juger des décisions militaires du Président Zelensky, mais je suis persuadée que l’Ukraine tient bon et reste unie grâce à lui. De plus, je pense que c’est grâce à ses actions que la guerre en Ukraine a une couverture médiatique en Occident, contrairement aux guerres en Géorgie et Tchétchénie. Je trouve cela très intelligent, car la propagande russe est partout et il faut la combattre avec toutes les forces possibles. Aujourd’hui encore, l’Ukraine manque d’armements pour pouvoir faire combattre tous les volontaires présents sur place.

J’imagine que tu as des nouvelles de ton père et de ta grand-mère ? Quels sont leurs avis ?
Mon père pense que tout le territoire de l’Ukraine libre doit rester uni sous le drapeau ukrainien. Ma grand-mère est une enfant de la Seconde Guerre mondiale et elle ne comprend pas comment quelqu’un ait pu souhaiter recommencer une nouvelle guerre.

Aimerais-tu retourner dans ton pays lorsque la guerre sera terminée ?

Oui, bien sûr. Avant la guerre, j’y allais plusieurs fois par an pour voir mes amis, mes proches, ces voyages me donnaient de la force. Par contre, je suis persuadée que cela laissera un lourd traumatisme, ce qui me brise le coeur, car l’Ukraine est un pays paisible et pacifique.

Que voudrais-tu que le monde entier retienne de cette guerre ? Quelle leçon pour l’avenir ? 

Désormais, nous les Ukrainiens n’avons plus que le présent. Notre passé a été abîmé ou détruit, notre futur est très obscur. Il ne nous reste que le présent et nous essayons de faire de notre mieux.

Je voudrais donc dire qu’il ne faut jamais céder quelque chose qui est cher à votre coeur. Le fait de protéger sa maison, sa famille ou ses amis n’est pas un signe d’agressivité, mais de bienveillance. Enfin, la gentillesse et la douceur ne doivent pas être interprétées comme des faiblesses, mais comme une force de caractère.